L'Arlésien

Ce portrait de l'auteur de bandes dessinées Jean-Pierre Autheman date d'avril 2019, soit un an et demi avant sa mort. En son absence, Arles n'est plus tout-à-fait la même. J'ai eu la chance d'être l'ami de ce hussard rabelaisien, rebelle dilettante, grande gueule et grand cœur.
« Je suis plutôt content, les dessins ont bien vieilli » marmonne Autheman dans sa moustache en feuilletant un pavé de presque 900 pages posé sur la toile cirée qui recouvre la table ronde de son salon. Aux carrefours du destin, qui vient de sortir aux éditions Glénat, est un bel objet avec une reliure à l’ancienne et un marque-page. À l’intérieur : cinq romans graphiques signés Autheman, reconnu comme l’un des pionniers français de ce genre qui a renouvelé la bande dessinée.
Arlésien depuis des siècles, Autheman pourchasse la médiocrité et la laideur tel un don Quichotte libertaire et dilettante. Cet anticonformiste sonore est un rebelle rabelaisien qui aime la bagarre et l’amitié. Depuis toujours, il dessine à traits décidés et nerveux, parfois rageurs, réservant sa sensibilité aux touches du piano. Le goût de la musique est hérité de sa mère professeure de piano. Le goût du dessin de son père architecte, personnage arlésien, déporté à Auschwitz après trois tentatives d’évasion d’un camp de travail allemand.
« Je suis resté Arlésien par flemme » confesse Autheman, né à Arles dans l’immédiat après-guerre. Surtout parce qu’il n’aimait pas Paris, où il avait commencé une carrière de dessinateur de presse en 1970, sous l’aile du génial Pierre Desproges. Il publie dans l’hebdomadaire Hara Kiri, homérique prédécesseur de Charlie Hebdo, avec le soutien de Georges Wolinski, devenu pour des décennies un ami fidèle (et donc habitué d’Arles) jusqu’à sa mort en janvier 2015 sous les balles islamistes.
À l’époque, Autheman est adoubé par le Professeur Choron, épique éditeur du journal où l’Arlésien participe aux déjeuners mémorables du mardi. Grâce à son «dessin de baroudeur » selon l’expression Willem, maître en la matière, il commence à se faire un nom (pas un prénom, seul le nom doit claquer : Reiser, Gébé, Cabu, etc.) mais… il y a un mais.
« Mais je me suis aperçu que pour réussir dans le dessin de presse, il fallait habiter Paris et je ne pouvais pas ! Alors je me suis lancé dans la bande dessinée parce qu’un auteur de BD peut rester dans sa province à travailler sur un album ». Autheman garde un pied dans la presse où il publie régulièrement des planches (Pilote, l’Echo des Savanes) et impose son style comme dessinateur et scénariste de bandes dessinées. Il enchaîne les albums et connaît le succès avec la série des Condor, puis des Vic Valence, dont le premier (Une nuit chez Tennessee) reçoit l’Alfred du meilleur album français au festival d’Angoulême 1987, la Palme d’Or de la BD ou du 9e art. Place des Hommes est son album préféré —le plus Arlésien de tous— avec son hôtel littéraire abandonné, son personnage de torero et son premier rôle féminin d’un érotisme magnétique (une constante chez l’auteur…).
Décor idéalisé, la place du Forum est aussi la querencia d’Autheman, par exemple pendant les férias ou les Rencontres de la photo, côté Off, où il dessine les photographes et leurs modèles avec son complice Bruno Heitz, sous la bénédiction amusée de Lucien Clergue, souvent croqué. Il devient le chroniqueur à la fois lucide et drôle de la politique arlésienne à travers ses dessins pour le quotidien La Provence. Il se délecte aussi de la vie locale dans le magazine municipal, de Jean Pierre Camoin à Hervé Schiavetti. Et il enseigne avec passion sa science du scénario aux étudiants en dessin d’animation de l’école Mopa.
« Ils sont rares les auteurs de bande dessinée qui savent aussi bien traduire les images en mots que les mots en images », résumait l’écrivain Yvan Audouard, ami de toujours, dans l’avant-propos du Filet de Saint-Pierre. Cette histoire arlésienne de résistants inspirés des amis de son père est l’album d’Autheman qui ouvre le recueil des éditions Glénat, une sorte de Panthéon de papier où les héros sont bien vivants.
© Christophe Cachera (2019)
Article publié dans le mensuel Arles Info n°231 daté d'avril 2019.
Aux carrefours du Destin (Editions Glénat 2019)